ACRYLAMIDE : ON TOURNE
AUTOUR DU POT DEPUIS DIX ANS
Voilà déjà
plus de 10 ans (c'était en 2002), des scientifiques suédois mettaient en
évidence la dangerosité de l'acrylamide*. Cette
substance, dont vous allez voir qu'elle est présente dans votre alimentation
quotidienne, à tous les repas, avait été signalée comme une substance
cancérogène et l'étude avait alors provoqué une véritable panique chez la
plupart des industriels de l'agro-alimentaire. Six ans
plus tard, en 2008, lors de son 11è colloque scientifique**, l'Autorité
européenne de sécurité alimentaire (EFSA) avait fini par reconnaître les
dangers sanitaires de l'acrylamide... mais n'avait
pris aucune décision concrète. Encore six
ans apprès, nous sommes en 2014 et l'EFSA annonce
enfin (en plein mois de juillet) qu'elle a confirmé ses précédentes
évaluations et que l’acrylamide présent dans les
aliments "augmente potentiellement le risque de développement de
cancers chez les consommateurs de tous les groupes d’âge". Une
consultation publique autour de son projet d'évaluation scientifique est
lancée, laissant espérer une vraie décision d'ici la fin de l'année. Une
vraie décision ? N'exagérons rien, car l'objectif est seulement d'aboutir à
l'adoption d'un programme de recherche européen officiel. Pendant ce temps,
on continue de s'empoisonner C'est quoi au juste l'acrylamide ?
L’acrylamide était connu depuis longtemps comme un produit
chimique très réactif utilisé dans la synthèse de matières plastiques ou
d’autres produits industriels (colles, papier, cosmétiques)... Jusqu'à ce
que les scientifiques suédois en découvrent dans les chips ! L’acrylamide présent dans les aliments est produit par la
même réaction chimique (la réaction de Maillard) que celle qui fait «dorer»
les aliments – et leur donne également plus de goût – durant la cuisson à
haute température (plus de 150 °C) employée unanimement dans la fabrication
industrielle de produits alimentaires. Quels
produits alimentaires sont concernés ? Tenez-vous bien... Ceux que vous
consommez à chaque repas : le café, les céréales du petit-déjeuner, les
produits à base de pommes de terre frites, les biscuits, les biscuits salés,
les biscottes et autres pains croquants, le pain, certains aliments pour
nourrissons, la bière... et plus généralement tous les plats préparés
industriels. Sommes-nous très exposés ?
Oui, nous
sommes très exposés, surtout ceux d'entre nous qui ne sont pas attentifs à
leur alimentation. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a ainsi mis en
évidence que les frites représentent 16 à 30 % des apports en acrylamide dans les pays industrialisés ; les chips, 6 à
46 % ; le café, 13 à 39 % ; les pâtisseries et biscuits sucrés, 10 à 20 % ;
le pain et les toasts, 10 à 30 %. Et que dans les pays de l’Union
européenne, les apports en acrylamide varient selon
les habitudes alimentaires nationales, entre 0,3 et 1,4 microgramme par kilo
(µ/kg) de poids corporel par jour. Cela peut sembler minime, mais c’est
l’accumulation de produits « probablement cancérogènes » qui pose
problème au-delà des taux spécifiques de telle ou telle substance. Le
document de l'EFSA, élaboré par les experts du groupe scientifique sur les
contaminants de la chaîne alimentaire (groupe CONTAM), est très inquiétant :
le Dr Diane Benford, qui dirige ce groupe, a
expliqué certains points clés du projet d’avis : «L’acrylamide
consommé par voie orale est absorbé dans le système gastro-intestinal,
distribué dans tous les organes et largement métabolisé. Le glycidamide, l’un des principaux métabolites résultant de
ce processus, est la cause la plus probable des mutations géniques et des
tumeurs observées dans les études animales.» Les scientifiques
s'intéressent aussi aux effets de l’acrylamide sur
le système nerveux, le développement pré et post-natal ainsi que sur la
reproduction masculine. Mais ils n'ont pas trouvé - pour l'instant - de
signes suffisamment alarmants dans ces domaines. L'acrylamide,
l'arbre qui cache la forêt
Jean-Pierre
Cravedi, directeur de recherches à l’Institut
national de la recherche agronomique (INRA) et expert auprès de l’EFSA laisse
entrevoir une grave vérité : Les industriels jouent la
montre
En fait,
depuis la « découverte » de l’acrylamide dans de
nombreuses préparations industrielles, la puissante Confédération des
industries agro-alimentaires (CIAA) de l’Union européenne a pris les choses
en main. Elle s’est tout de suite portée volontaire pour mettre en place des
mesures, résumées dans un mode d’emploi appelé "boîte à outils",
s’engageant à ce que la quantité d’acrylamide soit
moins élevée. Ces
mesures régulièrement mises à jour s’adressent aux fabricants de produits
alimentaires (frites, chips, céréales pour le petit-déjeuner, biscuits,
pain, etc.). La CIAA détaille les modes de formation de l’acrylamide ainsi que les méthodes existantes permettant
d’en réduire la teneur dans les aliments. Mais ces recommandations sont bien
peu contraignantes. Conséquence
: force est de constater que les « mesures volontaires » de la fameuse «
boîte à outils » n’ont eu que peu de portée. Au contraire, lors des
dernières études parues, on observe une augmentation des taux moyens d’acrylamide : de 284 µg/kg à 350 µg/kg pour les
frites, de 116 µg/kg à 156 µg/kg pour les céréales du petit-déjeuner, de 243
µg/kg à 317 µg/kg pour les biscuits. En fait, il n’y a pas vraiment eu de
véritable changement des procédés de fabrication. Au
Canada, ils ont été plus rapides à la détente. Dès
mars 2005, le site internet de Santé Canada donnait des mesures simples
pour réduire son exposition à l’acrylamide lorsque
l’on prépare certains aliments à la maison. Depuis, le principe de précaution
est monté d’un cran : l’acrylamide a été ajoutée à
la liste des substances jugées toxiques dans le pays. Comment se protéger ?
Seule une
alimentation crue, la cuisson vapeur ou dans l'eau bouillante permettent
d'échapper totalement à la réaction de Maillard, mais dès qu'il s'agit de
faire frire quelque chose, l'acrylamide est là.
Pour éviter l'acrylamide et les autres dérivés de
la réaction de Maillard dans votre alimentation, il va donc falloir être très
vigilant :
Autant
dire qu'il faudrait revoir toutes nos habitudes. Mais, puisque les pouvoirs
publics ne font rien, faites pression sur les industriels en vous passant de
leur production. Références
: |
Clément
Pierre |