Le marketing du "sans" : le prix qui cache l'arnaque

 

Meriem Saïdi

"Sans parabène", "sans sucre", "sans huile de palme", "sans colorants artificiels", "sans matières grasses hydrogénées", "sans gluten"... Depuis quelque temps, les produits de consommation courante sont mis en avant pour ce qu'ils ne contiennent pas. Ce qu'ils renferment est généralement écrit assez petit, pour vous décourager de le lire.

Dans une époque de crises alimentaires à répétition, vous êtes submergé d'informations anxiogènes.

Insister sur l'élément retiré, c'est supposer que celui-ci est dangereux. Encore faut-il en apporter la preuve scientifique... mais non, l'industrie fait fi de la preuve et le marketing surfe sur la vague du "sans" accrocheur auprès de consommateurs soucieux de leur bien-être. Quoi de plus normal que de vouloir se prémunir contre des substances soupçonnées d'augmenter le risque de maladies ou d'inconforts !

Trois grandes catégories de produits font l'objet d'une attention particulière :

1 - Les additifs (arômes, conservateurs) ou un ingrédient en particulier (bisphénol A, parabène).

2 - Les aliments qui existent dans l'alimentation courante et dont l'excès est néfaste pour la santé (matières grasses, sucre, sel).

3 - Les allergènes alimentaires (gluten, lactose).

Le souci est que cette tendance entretient une suspicion du consommateur, mais aussi une certaine peur, loin d'établir une confiance entre ce dernier et l'industrie agroalimentaire. Sans compter que tous les produits retirés sont remplacés par d'autres produits. Prenez l'exemple du chewing-gum sans sucre : si je vous dis que le sucre est remplacé par de l'aspartame, du xylitol, du sorbitol ou du mannitol... vous reprendrez bien un peu de "vrai" sucre, non ? Tous ces édulcorants sont sujets à controverses sans que l'assurance de leur totale innocuité ne puisse être donnée au consommateur.

Un autre exemple : le sans gluten. Cinq millions de Français achèteraient régulièrement des produits sans gluten : paradoxalement, seulement 1 à 3% d'entre eux seraient vraiment intolérants (maladie coeliaque). Pourquoi un tel engouement et que cache le sans gluten ?

La réponse est simple : l'association à une qualité du produit, au naturel, au bio, au léger. Tout se passe comme si le "sans gluten" (ou le "sans lactose") signifiait que vous avez affaire à un aliment "sain".

Une étude du George Institute For Global Health (Australie, 2015) a conclu à une plus faible teneur en protéines. Les principaux substituts des farines contenant du gluten sont la farine de riz, la farine de maïs et les fécules : l'indice glycémique élevé de ces produits augmente le stockage des graisses et le risque de diabète.

Il n'y a pas que ces farines, mais l'industriel va au plus économique. Il n'y a pas systématiquement plus de sucre, de sel ou de gras dans les produits sans gluten mais la tendance est bien présente dans l'agroalimentaire. Les substituts au gluten (en termes d'élasticité, de texture) sont des additifs comme des épaississants, des émulsifiants, des conservateurs...

Alors choisirez-vous un peu de gluten ou une louche d'additifs qui n'auraient pas lieu d'être présents dans le produit fini pour peu qu'on y laisse le gluten ?

C'est un marketing extrêmement agressif qui peut nous conduire à nous méfier des produits qui ne l'affichent pas, ce qui, vous en conviendrez, est excessif mais tout à fait possible chez un consommateur de plus en plus tracassé par ses achats alimentaires.

Les marques recherchent une image rassurante, naturelle et sécurisante. Le marketing "éliminateur" obtient l'effet inverse.

Dans le livre Le marketing de la peur, Serge Michel et Marie-Hélène Westphalen dénoncent une "instrumentalisation" des préoccupations des citoyens. Le marketing du "sans" n'est pas motivé par le souci de prendre soin de vous. Le seul objectif des marques est d'être plus attractives que la concurrence, avec ces mentions pour le moins racoleuses et pas toujours scientifiquement étayées.

Ne cédez plus à ce marketing de la peur qui ne masque que très grossièrement l'obsession des industriels pour les chiffres...

Ne vous engouffrez pas dans la mode du sans gluten, sans lactose, sans sucre, sans matières grasses, sans sel et j'en passe, à moins que votre état de santé ne le justifie.

Non, nous ne sommes pas tous intolérants à ces substances. Non, vous n'aurez pas un cancer parce que vous mâchez du chewing-gum. Non, désolée de vous l'apprendre, vous ne vivrez pas longtemps et en bonne santé sans aucune source de lipides.

Tout est question de bon sens et de raison : très peu de personnes ont une réelle intolérance au gluten, ce qui n'explique pas que toutes les enseignes développent leur gamme "sans gluten" à des prix prohibitifs qui plus est, au détriment des allergiques.

Je ne nie pas que l'on puisse éprouver un certain confort digestif en adoptant un régime sans gluten et sans lactose, puisque je le pratique. Je vous mets juste en garde sur cette inflation de l'offre de produits coûteux qui, souvent, ne correspondent pas à vos besoins nutritionnels.

J'ai des enfants allergiques au blé et au lait de vache et je me perds dans la multitude de produits dont ils sont la cible, le mot est fort, mais c'est une réalité. Tout est bon pour vendre des produits sans gluten et sans lactose, mais bien souvent saturés de sucre et de graisses, de farines à indice glycémique élevé et à valeur nutritionnelle pauvre.

Alors je rentre chez moi, assez dépitée que les allergies de mes enfants soient l'objet d'une telle spéculation financière et d'un tel développement publicitaire. J'ouvre mes placards et je me lance dans la préparation d'un gâteau à la farine de lupin et au cacao en réalisant à chaque instant le bonheur de pouvoir encore faire du "maison".

Si vous tenez à votre régime "sans gluten" alors que vous n'êtes pas intolérant, pensez à varier les ingrédients comme dans une alimentation "classique" : avec un peu de tout.