Jean-Pierre a 55 ans et il est en excellente santé.
Mais s’il cherchait, il pourrait se découvrir une bonne douzaine de maladies !
En effet, il lui arrive de s’énerver au volant ou
quand ses clients le harcèlent.
Si un médecin passait à ce moment là avec un appareil pour mesurer sa pression
artérielle, le diagnostic serait clair : hypertension.
Jean-Pierre mesure 1,83 m et pèse 84 kilos.
Son indice de masse corporelle (IMC) est de 25,1. Un
IMC « normal » varie de 20 à 24,9.
Diagnostic : surpoids.
Lorsqu’il mange certains aliments, il lui arrive de
sentir une brûlure intense en bas de la poitrine, un peu au-dessus de l’estomac.
Cela se produit particulièrement après le jus d’orange concentré et le cidre.
Diagnostic : reflux gastro-œsophagien.
La nuit, il lui arrive souvent de s’éveiller pour
aller aux toilettes soulager sa vessie.
Diagnostic : hypertrophie bénigne de la
prostate.
Le matin, quand il se lève, il se sent raide dans le
dos et les jambes. Il a besoin de quelques minutes
pour retrouver sa souplesse et sa mobilité.
Diagnostic : maladie dégénérative des
articulations.
Il a souvent froid aux mains. Cela se produit en
particulier les jours froids et pluvieux d’hiver.
Quand il a neigé, il ne sort pas sans une double paire
de gants. Le café aggrave son problème, mais l’alcool le
soulage.
Diagnostic : maladie de Raynaud.
Il a pris l’habitude de faire une liste de ses courses
et choses à accomplir, pour ne rien oublier. Il peine
à se souvenir du prénom des gens. Alors qu’il est
recommandé de ne jamais noter son code de carte bancaire ni son mot de passe,
vous pouvez tout trouver dans un petit carnet soigneusement rangé dans son
bureau.
Diagnostic : déficit cognitif léger,
pré-Alzheimer
Mais tout ça n’est rien. Jean-Pierre obtiendrait encore bien d’autres résultats
de maladies s’il allait voir un médecin pour faire un
« check-up » complet.
Il
suffirait à Jean-Pierre de faire des analyses de sang un peu approfondies,
notamment les tests de fonction hormonale (thyroïde, hormones sexuelles) et la
formule sanguine (globules rouges, globules blancs, plaquettes).
Il est pratiquement sûr
d’avoir au moins une valeur anormale sur la vingtaine qui seront mesurées.
Mais là où Jean-Pierre (et sa femme) pourraient
vraiment s’inquiéter, c’est s’il passait un scanner complet et une coloscopie
(caméra introduite par le rectum pour inspecter la paroi interne de
l’intestin).
Nodules dans le poumon, kyste du rein, polypes dans le côlon (gros intestin),
cellules cancéreuses dans la prostate, hernies et
anomalies osseuses diverses, il est presque sûr qu’on lui découvrirait
plusieurs signes suspects – et inquiétants.
On imagine souvent qu’il est avantageux de se faire diagnostiquer les maladies le
plus tôt possible, car il sera alors plus facile de les guérir.
Ce n’est pourtant pas du tout prouvé sur le plan
médical.
Dans tous les cas cités ci-dessus, le fait que Jean-Pierre s’aperçoive qu’il a
une « anomalie » suite à un examen médical ne permettra absolument
pas d’empêcher qu’elle évolue.
Prendre des médicaments ou subir des opérations ne fera,
selon toute probabilité, que lui faire courir des risques inutiles.
Si Jean-Pierre se sent en bonne santé, l’important pour lui est
de continuer à profiter de la vie sans chercher à se créer des ennuis.
Et de toute façon, il n’y a pas d’autre moyen
d’empêcher une évolution défavorable que de suivre un mode de vie sain,
par exemple tel que celui que je recommande jour après jour dans cette lettre.
Malade ou en bonne santé, ce mode de vie sain est
recommandé pour toutes les personnes qui souhaitent éviter les ennuis et aller
mieux. (la suite ci-dessous)
Chaque année qui passe,
scanners et IRM deviennent plus puissants et les
examens plus répandus.
Les nouveaux scanners permettent de visualiser des tranches
de votre corps d’un millimètre d’épaisseur. Cela veut dire que, sur la
longueur qui va de votre tronc jusqu’en haut de votre
tête (soit 80 cm environ), on peut faire 800 photos de tranches.
Les images peuvent ensuite être agrandies des centaines de fois pour visualiser
la moindre anomalie.
Le corps humain n’est pas un produit industriel
standardisé. C’est un organisme vivant d’une extrême
complexité. La plupart d’entre nous vivons sans le savoir avec des organes ou
des choses dans notre corps qui sont « un peu trop » ceci, ou
« pas assez » cela.
Aller mesurer le moindre organe au scanner est le
meilleur moyen de vous causer des angoisses inutiles.
Mais cela fait les affaires de certains.
L’étude de la Cleveland Clinic
faite par les pathologistes de Détroit (USA) dans les années 80 au sujet
de la prostate [1], a révélé que vous découvrirez un « cancer de la
prostate » chez 45 % des hommes de 50 à 59 ans si vous allez fouiller dans leur prostate avec
une aiguille (un examen appelé biopsie).
La proportion d’hommes prétendument atteints du cancer de la prostate monte à
68 % chez les hommes de 60 à 69 ans et 82 % chez ceux âgés de 70 à
79 ans.
Même parmi les hommes entre 20 et 30 ans, près de 10 % ont déjà un
« cancer de la prostate ».
Cela veut-il dire qu’il faille s’inquiéter, opérer ?
Absolument pas. L’important est
de laisser ces hommes tranquilles. On envisagera d’agir uniquement le
jour où le cancer de la prostate se manifestera par des signes
extérieurs gênants.
En effet, on sait maintenant que de nombreux cancers sont non
progressifs.
C’est le cas en particulier du cancer de la prostate :
Il
existe de nombreuses causes biologiques expliquant l’absence d’évolution
négative d’un cancer, que les scientifiques sont en train de découvrir
actuellement [2].
Et c’est vrai de bien d’autres « maladies »
qui n’en sont pas réellement.
D’innombrables personnes ont des douleurs occasionnelles dans
le ventre. Si vous leur faites une échographie, vous
trouverez souvent des calculs biliaires. Ces calculs sont-ils pour
autant la cause des douleurs ? C’est
très difficile à dire. Parmi les gens qui n’ont jamais mal au ventre,
vous trouverez presque autant de calculs biliaires si vous faites l’examen.
De même, beaucoup de gens ont mal au dos ou aux genoux. Faites un IRM (résonance magnétique) et vous avez de grandes
chances de trouver des lésions du cartilage, ou des disques déplacés ou qui
sortent de l’axe (hernie discale).
Mais la plupart de ces anomalies ne sont pas la cause des
douleurs. Là aussi, de nombreuses personnes qui n’ont ni
mal au genou ni mal au dos ont malgré tout des lésions du cartilage ou des
hernies.
Si vous explorez en détail le système vasculaire d’une personne cardiaque, vous
trouverez très vraisemblablement de petits anévrismes, thrombophlébites,
embolies dans l’aorte, les jambes, les poumons…
Faut-il prendre des médicaments ou opérer ? Une
fois que vous avez fait la « trouvaille », il
est très difficile au patient comme au médecin de se décider.
Mais une chose est sûre : si l’on ne fait rien et que le problème évolue
mal, le médecin s’expose à en éprouver les plus graves remords, et subira
peut-être des poursuites judiciaires, voire une sanction de l’Ordre des
médecins.
De son côté, le patient vivra avec l’angoisse d’une « épée de
Damoclès » sur sa tête.
Par « sécurité », l’un comme l’autre préféreront en
général intervenir si c’est possible. Au minimum, ils voudront faire des examens supplémentaires qui, à leur
tour, augmenteront le risque de découvrir d’autres problèmes de santé qui
avaient été ignorés jusque là.
C’est un cercle infernal qui explique largement l’augmentation prodigieuse de
la taille de nos hôpitaux, des queues aux urgences, des dépenses de santé, et
de la proportion de personnes qui prennent des médicaments tous les jours et
qui se considèrent comme « malades ».
Selon le Dr H. Gilbert Welch, expert de notoriété internationale sur le dépistage et professseur au Dartmouth Institute for Health Policy and Clinical Practice (USA) :
« Autrefois, les gens ne consultaient le médecin
que quand ils ne se portaient pas bien. Ils
attendaient de souffrir de symptômes.
Mais le paradigme a changé. Le diagnostic précoce est
devenu l’objectif du système de santé.
La sagesse populaire estime que plus de
diagnostics précoces entraînent de meilleurs soins.
Cela peut être vrai pour certains. Mais il y a
un revers à la médaille : trop de diagnostics
peuvent littéralement rendre malades les bien-portants. Ces nombreux
diagnostics déclenchent plus de traitements, et des
traitements pour des problèmes qui ne sont pas si graves ou, pire, qui
ne le sont pas du tout. En revanche, les traitements inutiles peuvent faire du
tort, et être pires que la maladie.(…)
Le diagnostic précoce est devenu synonyme de
médecine préventive. La médecine préventive est vue
intrinsèquement bonne, ce qui fait que la détection précoce ne peut qu’être
bonne. Mais en fait, le diagnostic précoce n’a rien à voir avec la prévention
puisque son seul objectif est de trouver des maladies
et non de les prévenir. Il vise à trouver des
anomalies au début de leur évolution de manière à en prévenir les conséquences.
Mais beaucoup d’anomalies ne porteront jamais à conséquences. »
[3]
Le diagnostic précoce débouche
donc sur la création de millions de personnes qui s’imaginent malades, qui
subissent des batteries d’examens, et souvent des
interventions ou médications inutiles.
Le Dr H. Gilbert Welch ajoute :
« La vraie prévention est ce que grand-mère me disait quand j’étais petit : ne fume pas, mange ta soupe et tes légumes verts, et va jouer dehors (avec le message subliminal : fais de l’exercice et débarrasse-toi de tes tensions). Son idée était simple : vivre sainement. »
On ne saurait mieux dire.
À votre santé !
Jean-Marc Dupuis